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Par Alexis Orsini

Qui est vraiment Takashi Nagasaki, le collaborateur de longue date de Naoki Urasawa ? Retour sur la carrière d’un scénariste méconnu mais essentiel.

Les lecteurs un peu curieux se sont forcément posé la question : quel rôle exact joue Takashi Nagasaki dans l’écriture des mangas de Naoki Urasawa? Et depuis quand les deux hommes travaillent-ils ensemble?

Tour à tour « collaborateur » sur 20th Century Boys, « co-auteur » de Pluto ou encore « co-scénariste » de Billy Bat, Takashi Nagasaki est en fait, depuis près de trente ans, le second cerveau à l’origine des mangas de Naoki Urasawa, à l’exception de Yawara! et de Happy!.

Le mentor du jeune Urasawa

GOLGO 13 © 1969 Takao SAITO/Shôgakukan

GOLGO 13 © 1969 Takao SAITO/Shôgakukan

Né en 1956 dans la préfecture de Miyagi, Takashi Nagasaki débute sa carrière de tantô chez Shôgakukan en 1981. Ce poste typiquement japonais est difficilement définissable, mais on pourrait toutefois l’assimiler à un « éditeur de manga ».

Tous les mangakas sont en effet assistés par un tantô, dont le rôle équivaut à celui d’un producteur de film : il conseille l’auteur sur l’orientation du scénario, résout les possibles conflits entre mangaka et scénariste lorsqu’une série est réalisée à quatre mains… Mais le tantô sert surtout d’intermédiaire entre la maison d’édition et le mangaka. Sa mission de médiation peut l’amener à protéger un auteur des pressions hiérarchiques comme l’obliger à suivre les consignes de compagnie au détriment de ses propres idées.

En 1981, Nagasaki fait ses débuts de tantô auprès du « Dieu du manga », Osamu Tezuka, en travaillant sur sa nouvelle série, L’Arbre au soleil. Deux ans plus tard, Takashi Nagasaki anime les numéros spéciaux du Big Comic dédiés à Golgo 13. À ce titre, le tantô doit choisir un jeune mangaka pour y réaliser des histoires courtes supplémentaires. Nagasaki jette son dévolu sur Urasawa.

Le tantô fait office de mentor auprès du jeune auteur. Urasawa ne fait que mettre en forme, par sa plume, les idées de Nagasaki. En 2006, l’homme de l’ombre précisait d’ailleurs :

Un éditeur, au départ, c’est un coach, son travail consiste à coacher la personne pour qu’elle puisse survivre dans le monde du manga. Tout mangaka commence comme un débutant complet, à part son talent, il n’a rien. Quand il a acquis les moyens de transformer son talent en monnaie, je pense que le rôle de l’éditeur se limite à le faire progresser.

Vers une « vision égalitaire des choses »

La relation professionnelle naissante entre les deux hommes est d’abord « dominée » par Nagasaki : bien qu’il participe à l’élaboration des scénarios de Pineapple Army puis de Master Keaton, Urasawa reste en position « d’infériorité » vis-à-vis de son tantô. Les comédies sportives d’Urasawa réalisées en parallèle – Yawara! puis Happy! – sont en revanche réalisées sans Nagasaki, qui travaille à l’époque pour le Big Comic alors que ces deux mangas sont publiés dans la revue Spirits.

Selon Nagasaki, Urasawa s’est véritablement affranchi de son autorité en travaillant sur Monster :

À l’époque de Master Keaton, c’était encore moi qui disais les choses d’en haut, mais quand on est passé à Monster, il avait déjà acquis depuis longtemps un statut d’auteur à succès, et à partir de là je suis passé à une vision égalitaire des choses.

Dès le début de la prépublication de Monster, en 1994, Nagasaki travaille donc en tant que « brain » d’Urasawa. Un titre atypique mais équivalent au rôle de tantô : Takashi Nagasaki exerce un rôle de conseiller, qui a son mot à dire sur le processus créatif de l’oeuvre, sans toutefois pouvoir être considéré comme un co-scénariste.

2001 : la prise d’indépendance

20th CENTURY BOYS © 2005 Naoki URASAWA/Studio Nuts/Takashi NAGASAKI/Shôgakukan

20th CENTURY BOYS © 2005 Naoki URASAWA/Studio Nuts/Takashi NAGASAKI/Shôgakukan

En 2001, Takashi Nagasaki quitte Shôgakukan pour devenir éditeur indépendant, un statut qu’il convoitait depuis un moment. Et pour cause : au Japon, un tantô travaille très rarement à son propre compte.

Lorsqu’ils sont salariés des maisons d’édition, les tantôs sont en effet sujets à une certaine instabilité puisqu’ils sont souvent transférés d’un auteur à un autre. Un mangaka travaille rarement avec le même éditeur durant toute sa carrière : Urasawa et Nagasaki, qui collaborent depuis 1983, constituent une exception majeure à la règle.

En 2001, Nagasaki, devenu son propre « chef », officie souvent en tant que « partenaire créatif » des mangakas qui font appel à lui. Concrètement, son rôle consiste à écrire des intrigues ou encore à rédiger les dialogues, à développer les idées que les auteurs lui soumettent mais ne peuvent développer eux-mêmes par manque de temps.

L’indépendance fraîchement acquise par Nagasaki consolide sa relation avec Urasawa : l’éditeur estime en effet avoir pu démissionner « en douceur » de son poste de rédacteur en chef du Big Comic Spirits grâce à son complice de longue date, qui souhaitait continuer leur collaboration.

De fait, les deux hommes ont pu poursuivre leur travail sur 20th Century Boys, qu’ils avaient entamé deux ans plus tôt, au lancement du manga. Le titre est d’ailleurs le premier réalisé conjointement de bout en bout par le duo, Nagasaki ayant arrêté de travailler sur Master Keaton au cours de la parution.

De l’anonymat à la notoriété

Au fil des années, le rôle exercé par Nagasaki dans l’élaboration des mangas de Naoki Urasawa a progressivement été révélé au public : à partir du septième tome de la première édition de 20th Century Boys, il est crédité à chaque fin de volume sous la mention « En collaboration avec Takashi Nagasaki ». Mais la véritable consécration vient avec Pluto puisque son nom apparaît pour la première fois en évidence lors de la prépublication du manga, sous le titre de « producteur » (traduit par « co-auteur » dans l’édition française).

Dès lors, la notoriété de Nagasaki s’accroît auprès du grand public. En 2007, le reportage Professional – Shigoto no ryūgi n°38 dédié à Naoki Urasawa permet d’entrevoir le rôle important joué par Nagasaki dans la création de ses mangas. Mais c’est un second reportage 1, entièrement dédié à son propre parcours et à son quotidien, qui constitue véritablement l’heure de gloire de Takashi Nagasaki.

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INSPECTEUR KURÔKOCHI © KÔJI KONO/TAKASHI NAGASAKI/Nihon Bungeisha

Depuis Pluto, le nom de Nagasaki est systématiquement mis en évidence : il apparaît ainsi sous le statut de co-scénariste de 20th Century Boys dans la page finale du manga, comme « co-auteur » des scénarios des films, de Billy Bat et enfin comme scénariste de Master Keaton Remaster.

Nagasaki s’expose donc au grand jour depuis plusieurs années. Pour rattraper l’anonymat qui a été le sien pendant longtemps ? On peut l’imaginer, puisque toutes les rééditions récentes des grands succès d’Urasawa mettent systématiquement son nom en évidence : sous la mention « co-produit par Takashi Nagasaki » dans l’édition Deluxe de Monster, par exemple, ou encore en tant que scénariste dans Master Keaton.

Takashi Nagasaki comptait même rencontrer le public français au Salon du Livre 2012, à l’occasion du lancement de Billy Bat, mais sa venue a été annulée pour des « raisons familiales ».

Des œuvres réalisées sans Urasawa

Nagasaki semble pourtant apprécier la discrétion puisqu’il a recouru à des noms de plume sur deux de ses séries réalisées sans Naoki Urasawa : « Toshusai Garaku » pour Dossier A et « Richard Woo » pour Diaspolis. Avant de signer ses deux dernières séries, Raspoutine le patriote (avec Junji Itô, de 2010 à 2012) et Inspecteur Kurôkochi (en cours depuis 2013 avec Kôji Kono, disponible chez Komikku), de son propre nom.

  1. Intitulé Aito to Kakugo no hit maker : manga henshu–sha /gensakusha Nagasaki Takashi, soit littéralement : « Takashi Nagasaki, éditeur/scénariste de manga, plein d’amour et de volonté, créateur de manga à succès ».