L'arlésienne arrive enfin !

Après deux après-midi d'inspiration intense, j'avance enfin sur cette fanfic. Et autant je trouvais le Prologue court, autant je ne pensais pas que le premier chapitre serait si long ^^" Enjoy !
CHAPITRE 1
«
Monsieur, je vous rappelle qu'il est interdit de fumer dans ce bâtiment. Merci de votre compréhension. »
Meyer n'avait pas encore allumé sa cigarette, tout juste avait-il pu dégainer son briquet à essence de la poche intérieure de son manteau, que déjà un agent d'entretien avait surgi pour lui délivrer cet avertissement laconique. La surprise passée, il se conforma à la consigne, non sans expirer un puissant soupir de frustration et de lassitude. L'agent d'entretien disparut alors de son champ de vision aussi vite qu'il y était apparu, dans le glissement silencieux de ses roulettes à moteur électrique. A défaut de tabac, le vieil homme sortit d'une autre poche un paquet de chewing-gum à la nicotine, que son épouse avait glissé dans ses affaires avant son départ. Sans doute avait-elle anticipé les règles de société auxquelles son mari serait confronté lors de ce séjour, tout en l'encourageant à réduire sa consommation. Sur l'instant, il dût reconnaître qu'elle avait fait preuve de plus d'intuition que lui. Tandis qu'il mâchait bruyamment en essayant d'en retirer le plus de compensation possible, il repensât au sermon que venait de lui donner cette petite machine à peine plus haute que la chaise où il était assis, et se moquait intérieurement de cette obsession quasi maladive de la société Thracienne pour la propreté. Pendant quelques minutes, il fit une boulette de papier avec l'emballage de son chewing-gum, et hésita à la lancer au sol pour estimer de nouveau les réflexes du service d'entretien, mais finit par se raviser. Après tout, de telles gamineries, ce n'était plus de son âge. Toutefois, cela aurait pu lui apporter un semblant de compagnie.
Voici déjà plus d'une heure qu'il patientait, seul, dans ce vaste couloir silencieux. Il était adossé à un vaste mur blanc, sans décoration, sinon quelques chaises impeccablement alignées tout du long, toutes semblables dans un même design arrondi et épuré, privilégiant le style au confort. Face à lui, une grande baie vitrée, qui laissait entrapercevoir les pointes des buildings de New Washington, entre deux nuages qui renvoyaient la lueur du soleil avec des variantes chromatiques d'ocre, d'or voire de vert anis, trahissant la pollution de l'air au sein de la cité. A l'intérieur du bâtiment, il régnait une atmosphère bien plus pure et une température douce, presque fraîche, qui faisait picoter le nez de Meyer. Le vieux commissaire, qui avait bravé la mort plus d'une fois lors de résolutions musclées de certaines affaires, n'était pas spécialement à l'aise dans cette ambiance clinique. Cela le renvoyait aussi à sa retraite à venir, et aux questions sur la fin de vie qu'il se refusait d'aborder. Mais surtout, ce n'était certainement pas l'image qu'il se faisait d'un bureau d'enquête. Dans les locaux de Düsseldorf, il avait toujours travaillé dans des locaux désordonnés, négligés, avec des agents courant dans tous les sens, des téléphones sonnant à toute heure, le cliquetis des claviers, et cette odeur omniprésente de tabac froid qui lui revenait aux narines. Ah, si seulement il pouvait s'en griller une. A bien y réfléchir, ces souvenirs remontaient davantage au tout début de sa carrière, lorsque le tout numérique n'était pas encore la norme. Petit à petit, Europol devenait de moins en moins vivant, pour se rapprocher du modèle Thracien en nourrissant un certain complexe d'infériorité. Mais franchement, qu'y avait-il à envier, dans cette absence totale d'émotion ? Dans ce long tunnel blanc , plus rien n'avait l'air naturel, le commissaire Meyer ne se sentait pas comme un témoin en attente de son audience, mais comme un condamné redoutant son exécution. Il estimait que cette attente, cet air de synthèse, cette luminosité aveuglante, ce silence pesant, ce siège qui lui comprimait le dos, n'étaient qu'une torture psychologique de plus afin d'amener à des aveux immédiats. A moins, peut-être, que toute la société des États-Unis de Thrace se soit conditionné à ces modes de vie artificiels, pour un quotidien détourné de toute distraction.
Meyer se sentait déjà dépassé par l'évolution de ce monde depuis bien longtemps, se considérant lui-même comme un dernier spécimen de la « vieille école ». Son style vestimentaire intemporel le trahissait : sous son imperméable fétiche aux teintes beiges qui ne le quittait plus depuis une quinzaine d'années, on trouvait un pantalon et un veston aux coloris semblables, ainsi qu'une chemise bleu-grise délavée. Depuis quelques temps, il avait ajouté à sa panoplie un chapeau homburg marron foncé, qu'il portait avec un soupçon de coquetterie pour masquer un semblant de calvitie. Non pas que Meyer soit entièrement chauve, mais l'implantation de sa chevelure hirsute poivre et sel reculait sur son front d'années en années, ce qu'il compensait en laissant progresser sur ses tempes de larges favoris. Sous une arcade sourcilière sévère brillaient deux yeux qui n'avaient rien perdu de leur intensité. Une barbe de quelques jours tapissait une mâchoire carrée et des lèvres fines, tandis que son nez long et droit s'était légèrement épaté avec l'âge. Ce nez proéminent lui avait valu le surnom de
Deustcher Schäferhund (berger allemand), allant de pair avec son flair d'inspecteur légendaire. Très souvent, au cours de sa carrière, Meyer avait su prévoir l'issue d'une affaire par sa seule intuition, prêchant le faux pour obtenir le vrai lorsque les indices factuels venaient à manquer. Une méthode qui devenait de moins en moins orthodoxe quant tout le monde ne jurait plus que par les techniques scientifiques les plus avancées, mais qui n'a pas manqué d'asseoir sa réputation au sein de son commissariat à Düsseldorf, puis au sein de la division spéciale d'Europol à laquelle il fut affectée il y a déjà plus de quinze ans. De fait, il fut souvent associé en binôme avec de jeunes recrues, afin de leur inculquer des valeurs que ces bleus pouvaient trouver dépassées de prime abord, ce qui ne manquait pas de créer certaines tensions. Pourtant, malgré son air dur et menaçant au premier abord, il savait se montrer pédagogue et conciliant... sauf pour ceux qui ne daignaient pas l'écouter. Mais que ce soit par crainte ou par respect, tous ses partenaires intérimaires ont fini par le suivre, et admirer son profond charisme. Oui, tous.
Le commissaire Meyer sortit brusquement de ses critiques sur la société Thracienne et de ses souvenirs au moment où une porte automatique s'ouvrit. Son souffle n'était pas très bruyant, mais suffisant pour rompre le silence ambiant. Meyer tourna la tête et vit apparaître dans le couloir une policière, qui se dirigea dans sa direction. Elle portait l'uniforme classique des forces de l'ordre de Thrace, du moins la tenue réservée pour les sessions officielles internes ; cela se distinguait par le port d'une jupe noire serrée, lui arrivant à hauteur des genoux, habituellement remplacée par un pantalon de treillis lors des opérations de terrain. Sur sa chemise couleur bleu ciel, on pouvait distinguer un médaillon simple de lieutenant, indiquant un grade assez peu élevé dans la hiérarchie. Ses talons noirs claquaient sur le parquet et résonnaient dans le couloir dans un rythme particulièrement régulier. Alors qu'elle approchait de Meyer, ce dernier observa ses jeunes traits : elle avait une vingtaine d'années, vingt-cinq tout au plus, et présentait une allure presque virginale. Ses cheveux blonds coupés mi-longs cachés sous sa casquette réglementaire étaient impeccablement attachés, pour retomber en arrière au niveau de sa nuque. Son visage régulier et fin, marqué par un très léger maquillage, lassait transparaître une certaine froideur. Seuls ses yeux d'un bleu très profond venaient apporter un peu d'expressivité à cette figure trop sérieuse. Son regard, jusqu'ici porté vers l'horizon du couloir, croisa subrepticement celui de l'inspecteur tandis qu'elle arrivait à sa hauteur. Mais ses yeux reprirent leur orientation de départ et la jeune femme dépassa Meyer sans lui adresser un mot, avant de poursuivre vers la sortie.
Tandis que Meyer regardait la policière s'éloigner, et le bruit de ses talons s'atténuer petit à petit, un appel surgit d'un haut-parleur : «
M. Karl Meyer, veuillez vous rendre dans le bureau du Commissaire Divisionnaire Williamson. » C'était enfin son tour, bien qu'il n'y avait pas de quoi se réjouir d'avoir autant attendu. Le vieux commissaire se leva, et avança jusqu'à la porte du bureau de Williamson, la même d'où était sorti la demoiselle. Il s'apprêta à taper à la porte quand celle-ci s'ouvrit un instant avant. Un léger regard en coin et il aperçut une caméra de surveillance, qui avait anticipé son approche. Même le simple fait de pousser une porte avait eu besoin d'être automatisé par une technologie inutilement complexe. En entrant dans le bureau, il découvrit le commissaire Williamson assis à son bureau, n'ayant pas daigné se lever pour l'accueillir. C'est une autre personne dans la pièce, un homme âgé comme lui, maigre et de taille moyenne, qui vint à sa rencontre le premier, lui tendant une main quelque peu fébrile. Avec ses cheveux gris tombant jusqu'aux épaules, ses petites lunettes rondes sur un nez en trompette et une petite moustache mal taillé, l'individu ne semblait pas vraiment à sa place dans ce bureau fédéral. Avec un ton ouvert, il s'adressa à Meyer :
« Bonjour Commissaire Meyer, je suis le Professeur Hodgkin, représentant du Département des Sciences et Technologies des Etats-Unis de Thrace, spécialisé dans le domaine de l'Intelligence Artificielle et de la Robotique. J'espère que vous avez fait bon voyage depuis l'Europe et que vous appréciez votre visite de New Washington et ses structures à la pointe de la technologie.
_ Merci, répondit Meyer. En effet, vos infrastuctures recèlent des qualités.... surprenantes. Je ne savais pas les Thraciens aussi portés sur la propreté. En revanche, pour la ponctualité, vous avez encore des progrès à faire ! »
Hodgkin répondit par un rire coincé, sans comprendre tout à fait les allusions de Meyer. Mais ce premier échange fut brusquement interrompu par la voix lourde de Williamson, coupant court aux échanges cordiaux :
« M. Hodgkin, nous n'avons pas convoqué M. Meyer pour parler tourisme. M. Meyer, installez-vous ici. »
Meyer s'assit face à Williamson en lui adressant un regard contrarié pour marquer son exaspération. Le commissaire divisionnaire n'avait pas changé d'expression pour autant, son regard froid et perçant toisant son homologue d'Europol avec des petits yeux cerclés de rides, sous des sourcils blancs et broussailleux. Il avait le visage très large, rasé de frais, avec des joues tombantes et un double menton. Ses cheveux, aussi blancs que ses sourcils, étaient coupés ras, à la militaire. Sous sa tenue d'agent fédéral, on devinait une carrure imposante, des épaules larges compensant un certain embonpoint. Ainsi installé à son bureau, les mains réunies, le dos droit, le visage fermé, Williamson avait l'air d'un rocher inébranlable. Typiquement le genre d'inspecteur avec lequel Meyer avait le plus de mal ; car s'il savait lui-même se montrer intransigeant, il était toujours mû par une ardeur bouillonnante qui le faisait maugréer à tout bout de champ. Pris entre le feu et la glace, le professeur Hodgkin finit par se trouver un siège à droite de Williamson, afin de commencer l'entretien.
« M. Meyer, reprit Williamson, notre temps est précieux et j'irai droit au but. Mais je suppose que vous connaissez les raisons de votre présence ici.
_ Eh bien, pour tout vous avouer, commissaire, j'ai pu croire au début, naïvement, que le Bureau d'Investigations de Thrace souhaitait établir une collaboration avec Europol autour de cette sombre affaire. Mais après avoir enquêté auprès de quelques-uns de mes collègues, j'ai appris que vous n'avez pas attendu bien longtemps avant de vous servir dans nos bases de données, sous la bénédiction de mes supérieurs ; et sans mon consentement préalable, ce qui n'a pas manqué de m'agacer, au passage. J'en déduis donc que vous avez déjà eu toutes les informations nécessaires, mais que cela ne vous suffisait pas : il vous fallait un véritable témoignage, et en particulier celui de l'ancien équipier de votre suspect n°1, n'est-ce pas ?
_ Je vois que les choses sont claires pour vous, M. Meyer. Alors commençons : racontez-nous votre première rencontre avec Brau 1589. »
***
Douze ans plus tôt, à Düsseldorf.
« Allez chef, ne soyez pas si pessimiste !
_ …
_ Je connais vos a-priori sur le sujet, vous êtes vieux jeu là-dessus, mais il faut vivre avec son temps, non ? Et puis, fallait bien que ça arrive un jour où l'autre. Je suis sur que c'est un défi à votre hauteur, après tout, qu'est-ce qui peut vous résister, hein ? !
_ … Jung, tais-toi un peu, veux-tu ? Et concentre-toi sur la route, je te prie.
_ Pas la peine chef, c'est un véhicule autonome ! Hé, ça aussi, faut vous y faire ! »
L'inspecteur Meyer et son adjoint Jung roulaient en direction de la banlieue sud de la ville, où avait fleuri un important quartier centré sur la haute technologie. Au large de bâtiments détenus par des sociétés privées, on trouvait en s'enfonçant plus loin encore sur la route des zones à accès restreints, détenues par le Département en Technologie et Robotique (DTR) de la Fédération Européenne. En outre, c'est dans ces locaux que, depuis quelques années, étaient produites les premières forces de police robotiques. Après avoir proposé, dans un premier temps, des machines d'assaut pilotable ou télécommandées, ainsi que des drones et autres robots d'infiltration, le DTR avait progressivement introduit des agents de terrain autonome, capable de procéder à des contrôles ou des arrestations simples. Ces agents-robots étaient cependant toujours mis sous la tutelle d'un partenaire humain, Si leurs capacités permettaient souvent de résoudre des situations tendues, cela pouvait néanmoins se compliquer sous le coup des lois de la robotique. Un robot ne pouvant porter atteinte à la vie d'un humain quelle que soit la situation, ces agents furent dotés d'armes non létales, comme des fusils paralysants. Et si l'intégration de ces agents a été la source de plusieurs débats houleux, la société civile en a rapidement perçu les bienfaits, d'autant que la criminalité, elle, n'avait pas attendu son aval pour monter d'un cran.
Les deux agents d'Europol arrivèrent à destination après avoir franchi divers points de contrôle : devant eux se présentait un laboratoire, exclusivement dédié à la robotique. Le bâtiment était assez imposant, certes moins que les usines d'assemblage, mais suffisamment conséquent pour produire sur place de nombreux prototypes expérimentaux. A leur arrivée, ils furent accueillis par un chercheur en blouse blanche, d'une trentaine d'années. Avec son sourire jovial, ses lunettes rondes et sa coupe au bol, il paraissait relativement jovial, et semblait d'ailleurs très euphorique à l'idée de les recevoir :
« Bonjour, Messieurs les Inspecteurs Meyer et Jung, n'est-ce pas ? Ravi de vous recevoir ! Je m'appelle Helmut Hoffman, et je suis l'assistant du professeur Klements, qui vous attend en compagnie du prototype. Je vais vous y conduire de ce pas. Merci d'avoir accepté cette entrevue ! »
Son enthousiasme contamina Jung, qui lui répondit avec une poignée de main chaleureuse. Mais Meyer n'en fut pas plus convaincu : ce Hoffman lui apparaissait comme un illuminé de plus. Il n'avait jamais vraiment été favorable à l'essor des robots dans la sécurité civile, malgré les très bons résultats engendrés. Pour lui, c'était une lubie de plus, dans cette société qui n'avait jamais arrêté sa course au progrès. S'il n'avait rien contre la science, il ne pouvait s'empêcher de voir certains scientifiques comme des savants fous, s'amusant à jouer à Dieu sans réfléchir aux conséquences, et en particulier ceux s'intéressant à l'Intelligence Artificielle. Les bienfaits apportés à la société étaient incontestables, mais Meyer craignait le jour où tout cela allait exploser. Était-ce son intuition qui le poussait à exprimer ce pressentiment, ou bien le fait qu'il n'ait jamais réussi à s'y faire ? Quoiqu'il en soit, Meyer ne préférait pas aborder le sujet avec ses cadets, se sachant considéré comme un reliquat de l'ancien monde. Quand cela venait sur le tapis, il se contentait de bougonner, mais pour autant, il ne trompait personne. Alors, quand l'annonce de son futur coéquipier se répandit dans les bureaux d'Europol, certains n'hésitèrent pas à ironiser sur la situation. en l'absence du principal intéressé, bien sur. Il ne s'agissait alors que d'une rumeur. Meyer avait refusé une première fois, puis une seconde, mais s'était finalement laisser convaincre à participer à une rencontre, avant de prendre une décision ferme et irrévocable.
Le professeur Hoffman les guida en traversant une succession de salles et de couloirs austères, qui semblaient s'enfoncer de plus en plus profondément sous le sol, baignés par la lumière jaunâtre des halogènes et par un concert de vrombissements divers, du circuit de refroidissement aux machines environnantes. L'inspecteur Meyer pensait y croiser des assemblages mécaniques de bras ou de jambes, des robots à moitié construits, des expérimentations diverses, mais en réalité, il n'entraperçut dans les quelques bureaux ouverts que des ordinateurs de plus ou moins grande taille, des serveurs et autres interfaces de commande. Tandis qu'ils descendaient, Hoffman ne pouvait s'empêcher de survendre ses travaux :
« Dans nos locaux, nous nous préoccupons essentiellement des recherches autour de l'Intelligence Artificielle. Vous n'êtes pas sans savoir que ce domaine a connu un essor phénoménal dans les dernières décennies. Depuis les premiers algorithmes d'auto-apprentissage récursif, la barrière du test de Turing a rapidement été dépassée. Très vite, les robots ont été capables d’interagir complètement avec leur environnement, ou de tenir une conversation avec un humain en donnant le change. Il reste néanmoins quelques aspects de notre personnalité qui restent à ce jour des énigmes, en particulier celui de la conscience : après tout, comment être sur qu'un robot est conscient de sa propre existence ? Qu'on lui injecte cette notion initialement, ou qu'il parvienne à la produire de lui-même, n'est-ce pas seulement une simulation de ce que nous, humain, définissons comme conscience ? C'est un problème passionnant. D'ailleurs, si ça vous intéresse, je peux vous orienter vers une quantité de lectures sur le sujet !
_ Une autre fois, merci, répondit Meyer en masquant difficilement ses réticences sur la question.
_ Parlez-nous plutôt du prototype lui-même, enchaîna Jung, qui tentait de rattraper la mauvaise humeur palpable de son supérieur.
_ Oh, oui, bien sur, reprit Hoffman. Comme je vous le disais, donc, nous ne développons dans ces locaux que les cerveaux de nos prototypes. Nous nous occupons cependant de l'injection de ces consciences artificielles dans les corps qui nous sont fournies par les laboratoires voisins, régis bien sur par le même département. Le prototype que vous allez découvrir est particulièrement étonnant, et je peux m'avancer en disant qu'il marquera l'histoire du DTR et même d'Europol ! A vrai dire, il était temps qu'on rattrape notre retard sur les autres grands pays. Vous avez sans doute entendu ces rumeurs sur l'Ultimate Computer de Thrace, non ? A ce qu'il paraît, il ne s'agit pas vraiment d'une conscience à proprement parler, mais d'un gigantesque réseau central qui supervise les directives du Bureau d'Investigations de Thrace. Et que dire des célèbres avancées du Professeur Tenma au Japon, un génie qui a changé à lui seul l'avancement technologique de son pays, même si on lui prête parfois des intentions fantasques ! »
Hoffman continua à dérouler son exposé improvisé auprès des deux inspecteurs jusqu'à atteindre leur destination. Ils pénétrèrent dans une salle relativement spacieuse, remplie d'ordinateurs, de tubes régulant la température de la pièce, de divers instruments de mesure éparpillés sur de larges bureaux. Une quinzaine de scientifiques en blouse blanche, dont quelques jeunes élèves, s'affairaient aux différents postes de travail, mais interrompirent leurs activités lorsque les deux hôtes firent leur entrée pour venir les saluer, avec le même entrain qu'avait manifesté Hoffman. Au centre de la pièce, attendant que ces salutations cessent, se tenait une femme d'une soixantaine d'années, à proximité d'un caisson de deux mètres de hauteur. Elle était d'une stature assez moyenne, avec un visage ridé et osseux, au menton pointu, surplombé par des cheveux blonds cendrés coupés à la garçonne, tandis que ses yeux brillaient d'un regard vert-gris. Malgré son allure anodine, elle se distinguait par un charisme certain et se présentait naturellement comme la responsable en ces lieux.
« Enchantée de vous rencontrer enfin, commença-t-elle, je suis le professeur Jacqueline Klements, directrice de cette équipe de recherche. Dans quelques instants, vous aurez le plaisir de rencontrer votre futur coéquipier, le prototype Brau 1589. Il est actuellement en stase dans ce caisson de sommeil, nous allons procéder à sa réactivation d'ici peu.
_ Brau 1589 ? Et qu'avez-vous fait des 1588 précédents prototypes ? plaisanta l'adjoint Jung.
_ Mon futur coéquiper, c'est encore à moi d'en juger, corrigea Meyer. Je n'ai pas encore pris ma décision, et à vrai dire, je ne suis pas franchement convaincu.
_ Oh, mais je suis sur que Brau saura vous convaincre lui-même » répliqua Klements avec un sourire franc. Elle et Meyer se renvoyèrent un regard aussi vivace l'un que l'autre, exprimant leurs convictions opposées.
Hoffman s'interposa dans cet échange en présentant les caractéristiques du prototype, en tendant deux exemplaires d'un dossier exhaustif aux inspecteurs :
« Brau 1589 a été doté des technologies dernier cris en matière d'infiltration et d'arrestation des criminels, réservés aux dernières générations de groupes d'intervention robotique. Il est ainsi protégé par une cuirasse en polymère para-aramides Kevlar qui recouvre à la fois sa tête, ses jambes et son tronc. Ses jambes sont munies de pistons qui lui permettent de moduler sa taille, sur une échelle comprise entre 1m70 et 2m30. De même, il possède des bras télescopiques construits dans un maillage de polymères, qui peuvent atteindre une envergure totale de 5m. Au niveau des armes, il sera doté de deux fusils paralysants, ainsi que d'un générateur d'impulsions électro-magnétiques capable de neutraliser de très nombreux systèmes électroniques. Mais bon, son plus grand atout_ et ce qui fait la fierté de notre équipe_ c'est bien entendu son cerveau ! »
Le professeur Klements pris le relais sur ce point :
« Notre ambition première, quand l'on nous a confié ce projet, était de faire de Brau 1589 un profiler. Nous avons déjà renseigné dans ses connaissances une impressionnante base de données de profils criminels et les dossiers des affaires criminelles relatives, le tout fourni par Europol. En recoupant ces informations à une cadence de 450 teraflops/sec, sans compter ce qu'il apprendra au cours de vos enquêtes, Brau est conçu pour identifier et imiter la personnalité des différents criminels, afin d'anticiper leurs prochaines actions.
_ Un robot imprégné de milliers de personnalités de criminels ? Êtes-vous consciente des risques inconsidérés que cela implique ? s'inquiéta Meyer.
_ Je comprends vos doutes, inspecteur, mais rassurez-vous : les lois de la robotique restent fondamentalement inscrites dans son code principal. Et Brau n'est pas qu'un simple caméléon : comme vous le constaterez, il dispose de sa propre personnalité, qu'il s'est forgée de lui-même au fil de nos expérimentations. Il est en fonction depuis maintenant trois ans, et n'a jamais montré d'hostilité pour un humain. Je suis même sûre que vous allez très bien vous entendre ! Enfin, le mieux est encore d'étudier ça directement avec l'intéressé, non ?
_ … très bien, allez-y, qu'on en finisse ! » obtempéra Meyer non sans appréhension.
Jacqueline Klements hocha de la tête en direction de Hoffman, qui n'attendait que ce signal pour s'installer à un terminal de commande. Les autres scientifiques s'organisèrent en demi-cercle autour de Klements, du caisson de stase et des deux policiers. L'un des élèves installa une caméra pour conserver un souvenir de ce moment historique pour le laboratoire. Hoffman lança une procédure depuis son poste et les vérins du caisson s'animèrent. La porte s'ouvrit en dessinant un arc de cercle de 90° vers le haut, révélant le prototype depuis ses pieds jusqu'à sa tête. Meyer et Jung découvrirent ainsi un corps imposant aux reflets métalliques, composé de deux larges pieds, de jambes renforcées, de cuisses plus courtes et rétractiles. Le tronc était recouvert d'une cuirasse profilée, resserrée au niveau du bas-ventre mais bien plus large aux épaules, d'où partaient deux bras longs et étroits, munis d'une multitude d'articulations, se terminant par des mains plates aux doigts fins. Mais c'était la figure du robot qui était la plus remarquable : une tête entièrement métallique, à la forme d'un crâne d'humain, avec une mâchoire étroite surplombée d'une grille oblongue, en lieu et place d'une bouche. Deux cercles gris, protégés par un matériaux transparent, semblables à de vieux phares de voitures, faisaient office d'yeux, lui donnant un aspect de coquille impénétrable. C'est comme si ce visage inamovible toisait le monde avec un regard écarquillé, supérieur et redoutable.
Hoffman lança alors la seconde étape du processus. Un léger vrombissement se fit entendre tandis que l'électricité parcourait les tubes reliant la créature à son cercueil. Les articulations de ses doigts vibrèrent puis se mirent à s'animer lentement. Bientôt, c'est l'ensemble du corps qui trembla, dans une sorte d'étirement généralisé, semblable à un bâillement. Soudain, les deux yeux vitreux s'animèrent d'une parfaite lumière blanche, au même moment où une voix synthétique s'échappa du terminal d'Hoffman, annonçant que la procédure d'initialisation avait abouti avec succès. Les tubes et câbles du caisson se détachèrent d'eux-mêmes, expulsés par de l'air comprimé, et le robot posa ses deux pieds au sol, tandis que sa tête dessinait une ellipse pour scruter l'ensemble de la pièce. Il s'arrêta un instant dans la direction des deux inspecteurs, mais se tourna ensuite vers sa génitrice. Une voix creuse, au timbre légèrement nasillard et aux intonations bondissantes, sortit alors du haut parleur au bout de sa mâchoire :
« Bonjour, professeur Klements. Bonjour, professeur Hoffman. Le grand jour est arrivé, à ce que je vois ! » puis, se tournant vers les deux invités, « Vous êtes bien les inspecteurs Meyer et Jung, il me semble ? Je m'appelle Brau 1589, et il me tardait de vous rencontrer ! »
Les deux inspecteurs restèrent cois un instant, sans savoir s'ils étaient plus surpris par l'apparence inquiétante du robot ou par son ton jovial et courtois, en totale contradiction avec son aspect. Puis, Meyer brisa le silence en s'adressant à Klements :
« Comment connaît-il nos noms ? En plus des dossiers criminels, Europol lui a-t-il déjà fourni des données nous concernant ? Je n'ai pas vraiment envie que ça circule dans tous les labos du DTR ! »
Le professeur Klements se contenta de lui adresser un grand sourire victorieux, en laissant directement sa création lui répondre. « Nul besoin de fichier classé, clarifia Brau, il suffit juste de chercher les informations publiques dans le Réseau. C'est que, vous êtes une véritable célébrité, cher Schäferhund ! De la cellule criminelle de la police de Düsseldorf à votre intégration à Europol, vos nombreux exploits vous précédent, et certains journalistes zélés ont fait de vous des portraits héroïques. Parmi vos plus anciennes affaires, il y en a même quelques-unes qui ont été adaptées pour la télévision, mais je ne vous apprends rien, je suppose. D'ailleurs, les scénaristes ont franchement minimisé votre rôle pour le rendre plus digeste à l'écran. Et je n'aurais certainement pas choisi les mêmes acteurs pour vous incarner, hé hé ! »
L'inspecteur Meyer pesta intérieurement. Dépassé par la technologie, il ne se rendait que très rarement sur le Réseau et, quand il le faisait, était toujours accompagné d'un lieutenant plus habile que lui pour l'utiliser, sans avoir jamais voulu faire l'effort de comprendre par lui-même. Cependant, il n'eut pas le temps de répliquer, que Brau se mit à renchérir :
« Pour le reste, je devine à votre attitude que vous n'êtes pas franchement emballé par la situation présente. La manière que vous avez eu de vous adresser au professeur Klements plutôt qu'à moi trahit le fait que vous ne me considérez pas encore comme un interlocuteur sensé. Votre rythme cardiaque reflète votre contrariété, sans compter que vous n'avez pas pu fumer une cigarette pour vous détendre depuis votre entrée dans le bâtiment. Et lorsque j'ai parlé du Réseau, vous n'aviez pas l'air de tout saisir, comme si j'avais parlé une langue étrangère. La présence d'un allergique au progrès comme vous dans ces murs me semble donc bien incongrue... Je devine donc ce qui vous amène ici : pour la mise en service de son tout premier robot inspecteur, Europol a volontairement opté pour le partenaire le moins enclin à une telle révolution. Aussi, si je parviens à vous convaincre de mes capacités et du bien fondé de mon existence, alors cela voudrait dire que n'importe qui le serait ! Mais vos supérieurs ont oublié un détail : est-ce que moi, j'aurais vraiment envie de travailler avec vous ?
_ Mais... de quel droit.. ? balbutia Meyer.
_ Hé hé, rassurez-vous, je plaisante ! J'ai été programmé pour ça, donc je n'ai pas vraiment le choix, non ? Et puis, je dois avouer que votre palmarès me fascine, sincèrement ! »
Meyer restait décontenancé par l'assurance et le ton sarcastique de Brau 1589. Mais, après tout, il avait maté des jeunes recrues encore plus prétentieuses que lui. Qu'il s'agisse d'une coquille de métal ou d'un humain, pas question de se laisser marcher sur les pieds. L'inspecteur reprit alors ses esprits, et sortit de son manteau un dossier, rempli d'un épaisse liasse de documents, qu'il tendit au robot.
« Très bien, Brau 1589, puisque tu sembles vouloir jouer au plus malin, je veux te voir à l’œuvre sur un cas plus concret que ma personne. Voici un dossier sur lequel je travaille actuellement, donne moi ton avis dessus. Celui-là n'est pas encore dans ta base de données.
_ … un dossier écrit à la main ? Allons bon, je vous devinais réfractaire à l'informatique, mais là c'est carrément l'âge de pierre !
_ C'est un problème ? On ne t'a pas appris à lire, peut-être ? »
Brau 1589 s'empara du dossier, avec une inclinaison de tête qui semblait répondre au défi que opposait Meyer. Il éparpilla le contenu du dossier sur un bureau, s'y installa, et se plongea dans l'affaire. Celle-ci portait sur l'assassinat du leader d'un gang de trafiquants de drogue, le principal suspect étant l'un des hommes de main d'un clan rival qui, quelques jours plus tôt, avait vu sa femme et sa fille mourir dans un « accident » de la route. L'homme a été retrouvé fuyant les lieux du meurtre, et avait été interpellé quelques heures plus tard. Les faits étaient contre lui, et un mobile de vengeance évident se dessinait, pourtant l'homme se terrait dans le mutisme le plus total. Brau 1589 examina le casier du meurtrier présumé, celui de son supérieur, celui du chef rival qui avait été exécuté, ainsi que divers compte-rendus relatant des différents incidents entre les deux gangs. Au bout de quelques minutes, il se releva, et apporta son point de vue à l'inspecteur Meyer.
« Les éléments sont parfaits, trop parfaits. Les circonstances, le mobile, tout accable le suspect, c'est indéniable. Pourtant, sa démarche ne semble pas logique : comment a-t-il pu conclure aussi rapidement que l'accident de ses proches a été provoqué par le clan rival ? A l'inverse, ce gang n'avait aucune raison apparente de s'en prendre à sa famille. Au vu de ses actions qui l'ont amené sur les lieux du futur crime, il ne me semble pas qu'il soit dans un processus de vengeance, mais de recherche de la vérité. D'un autre côté, j'ai noté quelques zones d'ombre autour du comportement de son supérieur, qui semble l'avoir entraîné rapidement vers cette hypothèse-là. Mon avis, c'est que tout ceci n'est qu'un grand coup monté fomenté par son supérieur, pour se débarrasser à la fois de lui et de son rival. »
L'ensemble des personnes présentes dans la pièce étaient restées muettes tandis que Brau 1589 déroulait ses hypothèses. Et maintenant, tout le monde était suspendu au verdict de l'inspecteur Meyer. Ce dernier avait gardé un regard sévère durant tout cet exposé, puis, quelques secondes plus tard, souffla du nez tandis que sa bouche grimaça un léger rictus contrarié. Lui qui s'était toujours fié à son flair légendaire, qui lui avait à quelques reprises donné raison sur les points de vue de la police scientifique, voilà qu'un robot, par un raisonnement purement logique et analytique, en était arrivé aux mêmes conclusions que lui. Brau 1589 avait réussi à mettre en évidence les zones d'ombre qui avait titillé son intuition humaine. Il haussa les épaules, soupira un grand coup et leva son index droit.
« Un mois, annonça-t-il. J'accepte de te prendre comme coéquiper à l'essai pendant un mois. Mais ne me déçois pas, où il ne sera plus jamais question d'un agent-robot à la cellule d'investigations d'Europol. »
Les scientifiques exultèrent alors de joie, voyant le projet sur lequel ils travaillaient depuis des mois, des années pour les plus anciens, se concrétiser enfin. Certains vinrent féliciter Brau 1589 par fierté paternaliste, quand d'autres serrèrent chaudement la main de Meyer. Ce dernier avait bien du mal à être aussi euphorique, d'autant que ses convictions profondes venaient d'essuyer une lourde défaite. Le professeur Klements vint à son tour le remercier, avec un air victorieux mais respectueux du point de vue de l'inspecteur. Elle l'avait pourtant prévenue, et gardait la certitude que leur collaboration serait profitable pour tout le monde.
Et elle avait raison : cette période d'essai d'un mois dura finalement plus de dix ans.
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Le commissaire Meyer venait de présenter à Williamson et Hodgkin le récit de cette première rencontre électrique avec Brau 1589. Williamson, toujours aussi imperturbable, n'avait pas cillé durant le témoignage. Le professeur Hodgkin, par acquis de conscience professionnelle, avait griffonné plusieurs notes pour ne pas omettre certains détails. Il prit d'ailleurs la parole le premier.
« Commissaire Meyer... si je vous ai bien suivi, Brau a été conçu pour imiter le comportement des criminels pour mieux les cerner, c'est bien cela ? Et sa créatrice vous a affirmé qu'il avait été programmé pour ne jamais franchir la ligne rouge. Mais dans le faits, vous qui l'avez côtoyé sur le terrain pendant dix ans, est-ce qu'il ne vous a jamais montré un tempérament... disons... ambigu ?
_ Pas une seule fois, non. Je m'en serais souvenu. Au début, oui, j'exprimais les mêmes craintes, d'autant que son apparence physique n'inspirait pas forcément la sympathie. Aussi, sur certaines scènes de crime, quand il se mettait dans la peau d'un tueur, il arrivait que certains de nos officiers prennent peur ! Mais petit à petit, j'ai fini par comprendre son fonctionnement : avant d'être fasciné par les meurtriers, Brau est fasciné par l'esprit humain en général. Et en soir, les meurtriers transgressent un interdit total. Mais plus que le meurtre en lui-même, c'est cette transgression qui l'intéressait, comme n'importe quelle autre pulsion humaine. Il en va de même pour mon flair, mon intuition naturelle qu'il a toujours envié, sans parvenir à la comprendre.
_ C'est... C'est une analyse intéressante, renchérit Hodgkin. Est-elle aussi guidée par votre flair, ou bien l'attachement pour votre ancien équiper vous joue des tours ? D'ailleurs, que dit votre flair sur l'affaire du meurtre de Henry Clemp ? »
En réaction à cette question, le commissaire divisionnaire Williamson grogna en jetant un regard noir vers le professeur Hodgkin, pour lui signifier qu'il aurait dû se taire. Mais cela n'empêcha pas Meyer d'y répondre.
« Mon flair me dit avant tout que je n'en sais rien, du moins que je n'en sais pas assez. Pas plus que le téléspectateur moyen de vos réseaux d'information, qui se sont fièrement empressé d'annoncer en gros titre « Le premier meurtre robotique de l'Histoire ». Je sais que votre rôle est de contrôler les fuites autour de cette enquête. Mais si vous n'avez pas tardé à puiser dans les informations d'Europol, nous espérions en retour quelques informations officielles sur l'affaire. C'est pourquoi, au vu de mes connaissances sur le principal suspect, je désire être intégré officiellement à l'enquête, en tant que représentant d'Europol.
_ Hors de question, éructa Williamson. Votre position de témoin et vos affinités avec le suspect rendront irrecevables vos apports à l'enquête. L'affaire est grave, on ne peut s'entourer que de personnes émotionnellement détachées et impartiales.
_ Et c'est tout à fait votre cas, j'imagine ? » répliqua Meyer. Cependant, voyant son interlocuteur toujours aussi fermé, il s'orienta vers un compromis. « Soit, j'imagine que ma position n'est pas la plus favorable. Alors je ne vais vous demander qu'une faveur, et si vous l'acceptez, vous pourrez compter sur mon entière collaboration en tant que témoin. Je souhaite voir de mes propres yeux les enregistrements vidéo de la nuit du meurtre. »
Williamson semblait prêt à exploser : de quel droit ce petit européen imposait ces conditions ? D'un autre côté, son témoignage restait un élément important pour l'enquête. Le professeur Hodgkin balbutia quelques mots pour statuer vainement sur une position bancale de médiateur.
« Soit, accorda Williamson, je peux vous accorder ça, si ça peut calmer vos prétentions absurdes. Mais après cela, je ne veux aucun fouineur d'Europol dans mes chaussures, et je vous interdis de vous rendre à New Washington sans que je vous y ai convoqué ! Est-ce bien clair, Meyer ?
_ Tout à fait clair, commissaire, répliqua Meyer.
_ Nous vous convierons dans quelques jours à une projection des extraits de la puce-mémoire de Brau 1589 relatif à la nuit du meurtre, en compagnie du comité d'enquête sur l'affaire.
_ Si ce n'est pas trop demander à votre clémence, ajouta Meyer je souhaiterais connaître une autre version des faits. En l’occurrence, celle de l'agent Foster.
_ Que... qui vous a parlé de l'agent Foster ? trahit Hodgkin par pur étonnement.
_ Ne croyez pas que les cellules d'enquête d'Europol soient complètement incompétentes, malgré le flou que vous faites régner sur l'affaire. Je sais que l'agent Foster a été la première sur les lieux du crime et qu'elle y a découvert la victime. Par ailleurs, il s'agit bien de la policière que j'ai croisée tout à l'heure, et que vous avez reçue dans ce même bureau, je me trompe ?
_ … très bien, gromella Williamson qui s'agaçait de toutes ces concessions, nous vous transmettrons une copie du rapport de l'agent Foster. Maintenant, je vous invite à quitter mon bureau sur le champ !
_ Un rapport écrit ? Oh non, je suis sur que vous pouvez me donner plus que ça. Des extraits de sa puce-mémoire, par exemple. Miss Foster peut bien tromper le citoyen lambda avec sa beauté synthétique,... mais personnellement, je sais reconnaître un agent-robot quand j'en croise un ! »
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Note d'intention :
La structure de ce 1er chapitre était claire dans ma tête depuis mal de temps. D'ailleurs, attendez-vous à une structure similaire pour les suivants, à savoir ces deux trames en parallèles : celle de l'enquête autour de l'assassinat commis par Brau, et des retours progressifs sur son passé par divers témoignages.
J'ai voulu très vite que Brau soit un robot "spécial": le premier robot meurtrier de l'Histoire ne pouvait pas être une machine lambda. J'ai eu alors l'idée d'un robot qui s'intéresse à la psyché des meurtriers, ce qui m'a conduit rapidement au staut de profiler. Le fait de l'inclure dans Europol, c'était un bonus qui avait quand même quelques avantages, comme celui de justifier certaines de ses connaissances dans le manga, ou de glisser quelques caméos (coucou Hoffman !).
Les personnages de Meyer, Foster et Williamson sont présents depuis les premières versions du scénario, même si j'ai eu un mal fou à leur trouver un nom (je ne suis jamais inspiré pour ça...). Meyer est un peu le stéréotype du vieil inspecteur, mais je trouvais que ça contrasterait bien avec Brau qui symbolise le progrès. Son physique et son caractère provient de différentes figures bien connues, comme Jet Black dans Cowboy Bebop (dans sa vie d'avant), Zenigata dans Lupin III et une pointe de commissaire Gordon ou de Columbo. L'agent Annie Foster, comme vous le verrez plus dans les chapitres suivants, c'est une inspiration directe de Clarice Starling dans Le Silence des Agneaux (incarnée à l'écran par Jodie... Foster). Quant à Williamson, il me rappelle certains personnages bruts d'Urasawa, et ce n'est qu'après coup que j'ai pensé qu'il y a déjà un personnage similaire dans Pluto. Mais bon, tant pis
Pour le rôle du professeur Klements, même si j'avais déjà pensé au personnage, je n'avais jamais vraiment pensé à son physique avant de me lancer dans l'écriture. Or je venais déjà de présenter deux scientifiques avec Hodgkin et Hoffman, et je commençais à sécher un peu. C'est alors que je me suis dit "
et pourquoi pas une femme ?" Après tout, il n'y en a pas beaucoup dans Pluto, je me suis un peu trop laissé influencer. Finalement, je la trouve bien charismatique comme ça
Le chapitre 2 devrait être un petit peu moins long, du moins je l'espère ^^ d'ici là, n'hésitez pas à me faire des retours, notamment si vous trouvez que des passages sont trop long ou au contraire trop rushés. Cette fanfic a aussi une vocation collaborative ! ^^