Comme annoncé sur le topic du dernier volume, j'ai relu les tomes 15 à 20 de la série. Puis le tome 14 en bonus, qui reste mon volume préféré. Mais comme la réflexion dépasse le simple contenu du dernier opus, j'ai préféré ouvrir un topic à part.
Il y a quelque chose de très méta qui ressort de dernier arc : à la fin du tome 14, le cours du destin change grâce aux dessins de Kevin (ou au dernier sursaut d'humanité de Kurusu, chacun se fera son idée là-dessus). Cependant, neuf ans plus tard, Billy fait une dernière apparition à Kevin en lui disant "je suis à court d'idées" puis "tu en as trop fait". On est alors en 1990 et Billy prévoit une catastrophe pour dans dix ans, sans vraiment le savoir précisément, ce qui poussera Kevin à dessiner deux tours sans faire directement le lien avec le World Trade Center. Mais Billy ne contacte plus Kevin et ce dernier finit par être à court d'inspiration. Et en parallèle, la montée de Timmy prouve que ce pouvoir est devenu inutile : en suivant l'actualité et à force de déductions, on peut prédire le devenir du monde sans appel à une force supérieure (c'est dit plus ou moins explicitement lors des chapitres traitant du World Trade Center).
Je l'interprète donc ainsi : Billy perd peu à peu son pouvoir de prémonition, car le cours du destin a changé. Et la dimension "méta" ressort dans une phrase qui revient souvent : "cela aurait dû être le dernier épisode." Si le tome 14 est mon favori, c'est qu'il est le climax que l'on attendait, qu'il cristallise toutes les intrigues et enjeux. Mais derrière, on est dans du "remplissage" un peu maladroit et redondant, qui ne sert finalement qu'aux personnages à se retrouver où à atteindre une forme de rédemption. Donc pour moi, la VRAIE fin du récit est au tome 14, et je me demande même si ce n'est pas ce qu'Urasawa voulait, au fond.
Car la construction de cet arc ultime est particulièrement maladroite :
- Entre 81, 90 et 2001, on ne sent pas le temps passer, dans le physique des personnages comme dans les situations.
- On apprend que Kevin Yamagata est toujours en vie, et qu'il sillonne le monde. Du coup, il y a à la fois une perte d'enjeux dans le fait de le revoir revenir sur le devant de la scène (car on le sait "en sécurité") et une vraie frustration (pourquoi on ne nous montre pas ses pérégrinations directement ?). Au lieu de ça, Kevin Goodman garde le statut de héros alors que sa situation est loin d'être périlleuse. Et lorsqu'on finit par le retrouver, c'est dans un état physique pathétique, voire ridicule (dessiner avec la bouche, moui...) mais dans un esprit de vieux sage qui a tout compris à la vie. Problème : on aurait aimé comprendre avec lui.
- L'absence globale de Billy Bat (ou de toute autre incarnation noire/blanche), dont les seules actions se résument à faire courir certains personnages d'un point A à un point B. Comme dit plus haut, il ne "sert" plus à rien, et la majeure partie des personnes pouvant rentrer en contact avec lui ont disparu.
- La construction de Timmy Sanada est ratée de bout en bout. Annoncée pourtant de manière évidente dès le tome 14 (j'avoue avoir raté ce détail à ma première lecture), son intégration à la succession de Kevin est maladroite (cf. la scène des gentils néo-nazis émotifs) et sa prise de pouvoir beaucoup trop artificielle : d'un côté par l'élimination de Finney pour laisser place à Morehouse, avant de faire disparaître ce dernier presque aussitôt, en servant de fusible pour écarter toute responsabilité du gouvernement américain; de l'autre par l'acte incompréhensible d'Audrey Culkin lorsqu'elle choisit de virer Kevin juste avant le 11 septembre, décision déraisonnée et "out-of-character" qui n'a d'intérêt qu'à l'ascension de Timmy. D'aileurs, ce dernier ne manquera pas de la dégager 16 ans plus tard
- Quelques nouveaux personnages cantonnés à des rôles-fonction bien pratiques, avec des coincidences à la clef : la fille de Jackie qui rencontre le réalisateur, l'ex de Kevin qui devient avocate et plaide contre Chuck Culkin Entreprises, ...
- Un nouveau climax prometteur mais raté au Tibet : certes, les retrouvailles entre les deux Kevin sont touchantes (mais gâchées par ce que j'ai dit plus haut sur Yamagata), mais se sont dans un contexte "à la cool" avec les fans de Billy qui se sont rassemblés. Il y a bien Timmy qui fait pression sur le gouvernement chinois, mais cette menace n'aboutit à rien, une fois de plus. Et finalement, on botte en touche pour promette une ultime rencontre entre Kevin Goodman et "le véritable Billy"...
Voilà donc en gros le contexte lorsqu'on arrive au tome 20. A vrai dire, je n'attendais plus grand-chose de cette conclusion, justement parce que les enjeux se sont taris depuis bien longtemps.
Je passe les """explications" sur les chauve-souris, je pense que ça pourra faire l'objet d'un topic à part. Mais pour résumer mon avis sur la question : d'une part ça rejoint une part de l'interprétation que je m'en faisais intimement (à savoir : la noire ou la blanche apparaît selon les intentions de l'observateur), d'autre part c'est limite si Urasawa se moque pas de nous en disant que tout cela n'avait guère d'importance.
Ce qui me gêne davantage, c'est le dénouement relativement pessimiste avec un monde qui semble avoir viré au post-apo en 20 ans. La morale montre que Timmy s'est fourvoyé dans ses prophéties et qu'il rage de ne jamais avoir vu la chauve-souris, mais c'est une récompense bien amère face au monde qui en résulte. Alors oui, je vois bien la mise en garde pacifique et écolo d'Urasawa derrière, mais le souci, c'est que narrativement parlant, ce n'est pas particulièrement engageant.
La dernière époque, présentée limite en mode "fin des temps", est du même acabit, même si elle se conclut par une note d'espoir. C'est sympathique, mais franchement naïf, et j'en attendais un peu plus d'Urasawa, plus qu'un simple message de "la vie continue" "prenez votre destin en main". Sans compter le coup des T-shirts, un peu ridicule quand même.
Au final, pour moi ce dernier arc ne repose que sur une seule idée : la lente disparition de Billy, qui aurait dû quitter la Terre en exauçant le voeu de Kurusu, mais qui s'y est retrouvé piégé jusqu'à la lune géante suivante. Pour finalement faire ses adieux à Kevin Goodman en disant "à présent, débrouillez-vous sans moi." En soi, c'est une conclusion qui aurait pu être honnête si elle n'avait pas tant tiré en longueur, avec des nouveaux enjeux qui ne sont qu'une répétition des précédents en moins bien conçus (un peu comme les derniers soubresauts artificiels dépeints dans 21st Century Boys). Preuve qu'une fois encore, Urasawa a bien du mal à terminer ses intrigues capillotractées.
Mais je pense aussi qu'Urasawa voulait faire de son Billy Bat une oeuvre beaucoup plus métaphysique, alliant le fait de retracer l'histoire de l'Humanité avec une déclaration d'amour à la bande-dessinée en général. Dommage alors qu'il ai dû intégrer autant d'éléments de thrillers, de conspirations, de société secrètes,.... sans doute soufflées pour la plupart par son confrère Nagasaki (lisez Dossier A et Kurokochi, c'est QUE ça, au point d'en devenir indigeste). Et il s'est ainsi pris à son propre piège. Pour moi, il aurait dû attendre quelques années de plus avant de se lancer dans ce projet, afin de pouvoir prendre de la hauteur et faire vraiment ce qu'il aurait voulu faire.
Il y a quelque chose de très méta qui ressort de dernier arc : à la fin du tome 14, le cours du destin change grâce aux dessins de Kevin (ou au dernier sursaut d'humanité de Kurusu, chacun se fera son idée là-dessus). Cependant, neuf ans plus tard, Billy fait une dernière apparition à Kevin en lui disant "je suis à court d'idées" puis "tu en as trop fait". On est alors en 1990 et Billy prévoit une catastrophe pour dans dix ans, sans vraiment le savoir précisément, ce qui poussera Kevin à dessiner deux tours sans faire directement le lien avec le World Trade Center. Mais Billy ne contacte plus Kevin et ce dernier finit par être à court d'inspiration. Et en parallèle, la montée de Timmy prouve que ce pouvoir est devenu inutile : en suivant l'actualité et à force de déductions, on peut prédire le devenir du monde sans appel à une force supérieure (c'est dit plus ou moins explicitement lors des chapitres traitant du World Trade Center).
Je l'interprète donc ainsi : Billy perd peu à peu son pouvoir de prémonition, car le cours du destin a changé. Et la dimension "méta" ressort dans une phrase qui revient souvent : "cela aurait dû être le dernier épisode." Si le tome 14 est mon favori, c'est qu'il est le climax que l'on attendait, qu'il cristallise toutes les intrigues et enjeux. Mais derrière, on est dans du "remplissage" un peu maladroit et redondant, qui ne sert finalement qu'aux personnages à se retrouver où à atteindre une forme de rédemption. Donc pour moi, la VRAIE fin du récit est au tome 14, et je me demande même si ce n'est pas ce qu'Urasawa voulait, au fond.
Car la construction de cet arc ultime est particulièrement maladroite :
- Entre 81, 90 et 2001, on ne sent pas le temps passer, dans le physique des personnages comme dans les situations.
- On apprend que Kevin Yamagata est toujours en vie, et qu'il sillonne le monde. Du coup, il y a à la fois une perte d'enjeux dans le fait de le revoir revenir sur le devant de la scène (car on le sait "en sécurité") et une vraie frustration (pourquoi on ne nous montre pas ses pérégrinations directement ?). Au lieu de ça, Kevin Goodman garde le statut de héros alors que sa situation est loin d'être périlleuse. Et lorsqu'on finit par le retrouver, c'est dans un état physique pathétique, voire ridicule (dessiner avec la bouche, moui...) mais dans un esprit de vieux sage qui a tout compris à la vie. Problème : on aurait aimé comprendre avec lui.
- L'absence globale de Billy Bat (ou de toute autre incarnation noire/blanche), dont les seules actions se résument à faire courir certains personnages d'un point A à un point B. Comme dit plus haut, il ne "sert" plus à rien, et la majeure partie des personnes pouvant rentrer en contact avec lui ont disparu.
- La construction de Timmy Sanada est ratée de bout en bout. Annoncée pourtant de manière évidente dès le tome 14 (j'avoue avoir raté ce détail à ma première lecture), son intégration à la succession de Kevin est maladroite (cf. la scène des gentils néo-nazis émotifs) et sa prise de pouvoir beaucoup trop artificielle : d'un côté par l'élimination de Finney pour laisser place à Morehouse, avant de faire disparaître ce dernier presque aussitôt, en servant de fusible pour écarter toute responsabilité du gouvernement américain; de l'autre par l'acte incompréhensible d'Audrey Culkin lorsqu'elle choisit de virer Kevin juste avant le 11 septembre, décision déraisonnée et "out-of-character" qui n'a d'intérêt qu'à l'ascension de Timmy. D'aileurs, ce dernier ne manquera pas de la dégager 16 ans plus tard

- Quelques nouveaux personnages cantonnés à des rôles-fonction bien pratiques, avec des coincidences à la clef : la fille de Jackie qui rencontre le réalisateur, l'ex de Kevin qui devient avocate et plaide contre Chuck Culkin Entreprises, ...
- Un nouveau climax prometteur mais raté au Tibet : certes, les retrouvailles entre les deux Kevin sont touchantes (mais gâchées par ce que j'ai dit plus haut sur Yamagata), mais se sont dans un contexte "à la cool" avec les fans de Billy qui se sont rassemblés. Il y a bien Timmy qui fait pression sur le gouvernement chinois, mais cette menace n'aboutit à rien, une fois de plus. Et finalement, on botte en touche pour promette une ultime rencontre entre Kevin Goodman et "le véritable Billy"...
Voilà donc en gros le contexte lorsqu'on arrive au tome 20. A vrai dire, je n'attendais plus grand-chose de cette conclusion, justement parce que les enjeux se sont taris depuis bien longtemps.
Je passe les """explications" sur les chauve-souris, je pense que ça pourra faire l'objet d'un topic à part. Mais pour résumer mon avis sur la question : d'une part ça rejoint une part de l'interprétation que je m'en faisais intimement (à savoir : la noire ou la blanche apparaît selon les intentions de l'observateur), d'autre part c'est limite si Urasawa se moque pas de nous en disant que tout cela n'avait guère d'importance.
Ce qui me gêne davantage, c'est le dénouement relativement pessimiste avec un monde qui semble avoir viré au post-apo en 20 ans. La morale montre que Timmy s'est fourvoyé dans ses prophéties et qu'il rage de ne jamais avoir vu la chauve-souris, mais c'est une récompense bien amère face au monde qui en résulte. Alors oui, je vois bien la mise en garde pacifique et écolo d'Urasawa derrière, mais le souci, c'est que narrativement parlant, ce n'est pas particulièrement engageant.
La dernière époque, présentée limite en mode "fin des temps", est du même acabit, même si elle se conclut par une note d'espoir. C'est sympathique, mais franchement naïf, et j'en attendais un peu plus d'Urasawa, plus qu'un simple message de "la vie continue" "prenez votre destin en main". Sans compter le coup des T-shirts, un peu ridicule quand même.
Au final, pour moi ce dernier arc ne repose que sur une seule idée : la lente disparition de Billy, qui aurait dû quitter la Terre en exauçant le voeu de Kurusu, mais qui s'y est retrouvé piégé jusqu'à la lune géante suivante. Pour finalement faire ses adieux à Kevin Goodman en disant "à présent, débrouillez-vous sans moi." En soi, c'est une conclusion qui aurait pu être honnête si elle n'avait pas tant tiré en longueur, avec des nouveaux enjeux qui ne sont qu'une répétition des précédents en moins bien conçus (un peu comme les derniers soubresauts artificiels dépeints dans 21st Century Boys). Preuve qu'une fois encore, Urasawa a bien du mal à terminer ses intrigues capillotractées.
Mais je pense aussi qu'Urasawa voulait faire de son Billy Bat une oeuvre beaucoup plus métaphysique, alliant le fait de retracer l'histoire de l'Humanité avec une déclaration d'amour à la bande-dessinée en général. Dommage alors qu'il ai dû intégrer autant d'éléments de thrillers, de conspirations, de société secrètes,.... sans doute soufflées pour la plupart par son confrère Nagasaki (lisez Dossier A et Kurokochi, c'est QUE ça, au point d'en devenir indigeste). Et il s'est ainsi pris à son propre piège. Pour moi, il aurait dû attendre quelques années de plus avant de se lancer dans ce projet, afin de pouvoir prendre de la hauteur et faire vraiment ce qu'il aurait voulu faire.